Après avoir traversé l’océan Atlantique à la voile, soit plus de 5 000 kilomètres parcourus en 19 jours, nous sommes arrivés en Martinique. Lors de notre séjour sur cette île des Caraïbes, nous avons découvert des écosystèmes sous-marins et littoraux incroyables : des tapis d’herbiers marins, en passant par les récifs de coraux colorés et bruyants, jusqu’au cœur de la mangrove où le calme réside. Mais surtout, nous avons rencontré plusieurs acteurs locaux qui participent à leur conservation et à leur régénération.
Nous avons d’abord rencontré les membres de Roots of the Sea, une jeune association qui œuvre à faire découvrir, à protéger et à restaurer le monde littoral et sous-marin de la Martinique.
Actuellement, un de leurs projets est celui de développer une pépinière de plants de palétuviers afin de pouvoir restaurer la mangrove locale. C’est autour de cette action que nous avons pu échanger avec les membres et bénévoles de l’association afin d’en apprendre plus sur cet écosystème, son importance pour le milieu marin, les pressions qu’il subit et les différentes méthodes pour le restaurer.
Vous aussi, découvrez en plus sur la mangrove de la Martinique et sa régénération dans ce nouvel article de blog. Vous pouvez également regarder l’épisode 2 de notre web-série qui retrace notre transatlantique et notre rencontre avec Roots of the Sea !
Bien qu’inspirés de la rencontre avec Roots of the Sea, les propos de l’article suivant n’engagent que les membres de Phœnix Expédition.
La mangrove
La mangrove est un écosystème forestier littoral, à la frontière entre l’environnement marin et l’environnement terrestre.
Les espèces végétales qui forment la mangrove présentent des adaptations particulières aux conditions variables de cet environnement (variation de salinité, forte dessiccation etc.) et sont majoritairement représentées dans la Caraïbe par les palétuviers.

En Martinique on retrouve quatre espèces de palétuviers : Rouge (Rhizophora mangle), Noir (Avicennia germinans), Gris (Conocarpus erectus), Blanc (Laguncularia racemosa).
Les mangroves se trouvent dans les zones intertropicales, et sont donc très présentes dans les Caraïbes. Ici en Martinique, la mangrove représente environ 2 000 hectares du territoire dont la majeure partie s’étend sur la côte ouest de l’île.

À noter : La « mangrove » correspond à l’écosystème formé par les arbres palétuviers – alors qu’en anglais la distinction ne se fait pas : « palétuvier » se dit également « mangrove ».
Une réserve de biodiversité
L’écosystème formé par la mangrove est indispensable à la vie ambiante. En effet, de nombreuses espèces terrestres (oiseaux) et espèces marines (crabes, juvéniles de poissons) y trouvent leur compte.
La mangrove joue un rôle de nurserie pour les espèces qui naissent en récif corallien et qui viennent s’y abriter pour grandir, loin des prédateurs des eaux plus profondes.
Non loin de la mangrove se trouvent souvent des herbiers marins, un autre écosystème marin dans lequel certaines espèces viennent vivre à un moment de leur développement.
Ainsi, ces trois écosystèmes associés (récif corallien, mangrove, herbier marin) forment toute une chaîne indispensable au développement des espèces marines et maintiennent l’équilibre et la diversité du monde sous-marin.

Un rôle clé pour le climat
Via la photosynthèse, l’accumulation de biomasse dans les racines, et l’enfouissement de la matière organique dans le sol vaseux, la mangrove capture et surtout stocke de grandes quantités de carbone.
Lorsque cet écosystème est détruit (on parle alors de déforestation de la mangrove), tout le carbone accumulé dans les racines, le sol et les troncs est alors relâché dans l’atmosphère, contribuant aux émissions globales de dioxyde de carbone et in fine participant au réchauffement global de la terre. *
*Les émissions de CO2 liées à la déforestation de la mangrove contribuent jusqu’à 10% des émissions liés à la déforestation globale.1


La mangrove, essentielle aux populations côtières
Il est impressionnant de ressentir à quel point le calme et la sérénité résident au cœur de la mangrove, alors qu’avant d’y pénétrer, à la frontière entre celle-ci et le grand bleu, les conditions sont souvent agitées à cause du vent qui souffle fort et des vagues parfois violentes.

Au-delà d’être un lieu propice pour trouver une tranquillité d’esprit, le calme de la mangrove est à l’image de l’un des services primordiaux qu’elle fournit à l’homme : elle sert de zone tampon en réduisant l’impact des vagues, des tempêtes, des cyclones et de l’érosion sur les littoraux.
Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que certaines zones d’abris pour les voiliers en Martinique lors de la saison des cyclones sont délimitées par des barrières naturelles formées de mangrove. De nombreux ports de pêche sont également en zone de mangrove, pour les mêmes raisons de protection.
La ressource en pêche, source de revenus primaires pour les populations locales dépend aussi grandement de l’état de santé de la mangrove.
C’est enfin une ressource économique directe pour d’autres secteurs tels que l’éco-tourisme, avec les balades en kayak. Dans d’autres îles comme Sainte-Lucie (île voisine de la Martinique) on produit du miel de mangrove (réputé pour être délicieux !).
Un écosystème en danger
Dans le monde entier et depuis le siècle dernier, la mangrove subit de multiples pressions anthropiques. Aujourd’hui, plus de 35% de la mangrove est considérée comme perdue/détruite2. Même si une prise de conscience sur l’importance de cet écosystème a eu lieu, et qu’elle est aujourd’hui plus ou moins considérée comme un écosystème en danger et à protéger, les pressions sur la mangrove persistent.
La pollution
Différents types de pollution affectent la mangrove. Tout d’abord, il y a la pollution liée aux déchets, qui sont de toutes tailles (des sacs plastiques, des moteurs de voiture et même des carcasses de voiture entières y sont retrouvés).
La mangrove est souvent considérée comme un lieu sale. En effet, l’eau vaseuse dans laquelle elle se trouve s’éloigne de l’habituelle eau translucide de la mer des Caraïbes… L’odeur d’œufs pourris créée par la décomposition du souffre en milieu anaérobie (sans dioxygène) contribue aussi à cette image négative.



Elle fut également longtemps considérée comme un lieu mystique dans lequel il ne fallait pas se rendre, au risque d’y croiser de mauvais esprits. Pour ces raisons-là, il n’apparait pas comme choquant ni dérangeant de traiter la mangrove comme une zone de déchèterie.
Une autre forme de pollution est celle de la pollution chimique venant des terres agricoles, notamment liée au chlordécone, longuement et fortement utilisée dans les champs de bananes. Cette pollution très abondante dans les Antilles françaises, connue pour son effet très néfaste sur les sols et la santé de l’Homme, touche également la mangrove via la capture dans ses sédiments.
Le développement côtier
La mangrove est aussi victime au surdéveloppement côtier. Bien qu’aujourd’hui cet écosystème soit protégé et par conséquent, doit être pris en compte dans les projets de construction côtière, de nombreux chantiers dans le passé se sont développés là où la mangrove était présente.
Des marinas aux centres commerciaux, le développement urbain s’est souvent fait au détriment de cet écosystème littoral.
La méconnaissance
À la racine de toutes ces pressions une raison fondamentale explique que la mangrove subisse des pressions anthropiques importantes. C’est celle de la méconnaissance historique de cet écosystème par les habitants de l’île.
Parce que la mangrove est peu connue et fréquentée, elle est perçue comme mystique, interdite, sale, et n’est pas prise en compte dans les activités urbaines et agricoles.
Alors qu’en s’y intéressant, en s’y promenant, en l’observant de plus près et en la découvrant sous un autre regard – celui de la curiosité et de l’émerveillement – la mangrove peut offrir une toute autre image : celle d’un lieu calme, offrant un sentiment de sérénité et abritant une richesse inestimable, celle de la vie.

Régénérer la mangrove
Depuis sa création, Roots of the Sea souhaite promouvoir l’écosystème phare qu’est la mangrove auprès de la population, avec des évènements organisés le long de l’année comme la « mangrove week », une semaine entière d’évènements liés à la mangrove (randonnée, balade en kayak, conférence, atelier peinture).
Dans un souci d’amélioration de la conservation de la mangrove en Martinique, Roots of the Sea souhaite amorcer la régénération de la mangrove de la Martinique, en développant une pépinière de plants de palétuviers.
Afin de restaurer la mangrove, il existe deux méthodes. Une d’entre elle est nommée passive : elle consiste à améliorer l’environnement en modifiant les flux hydrauliques grâce à la création et à la modification de berges et de digues au sein même de la mangrove.

L’autre méthode est quant à elle active : elle consiste à replanter des plants de mangroves directement sur le terrain. Ces plants de mangroves sont issus d’une pépinière, où des graines (propagules) de palétuviers ont été récoltées, puis plantées dans des petits sacs, qui en poussant formeront des plants adultes prêts à être transplantés.

La mangrove étant résiliente, avec des capacités de régénération naturelle supérieure à celles d’autres écosystèmes, la régénération passive devrait être privilégiée dès que possible. Le projet actuel de Roots of the Sea souhaite promouvoir la méthode active à visée éducative et participative.
Cette année marque le début de la création de leur première pépinière. Leur objectif est d’atteindre une quantité suffisante de plants adultes qui pourront alors être utilisés pour de la replantation, et ainsi permettre la reforestation de cet écosystème littoral.
Au-delà de répondre à une demande grandissante de projets de restauration de mangroves venant du territoire et de l’international, Roots of the Sea a pour but de reconnecter les habitants de l’île à cet écosystème. Les membres et bénévoles de l’association se forment à ces techniques de restauration de mangrove – notamment à Bonaire avec Mangrove Maniacs -, et pourront ainsi à leur tour former la population locale.



La régénération de la mangrove est fondamentalement importante d’un point de vue de la conservation de la biodiversité marine ou de l’adaptation au changement climatique, mais elle est tout aussi importante d’un point de vue social et culturel.
Comme évoqué précédemment, la mangrove n’a pas forcément bon dos dans l’imaginaire des habitants. Engager les jeunes et moins jeunes dans un processus de régénération de la mangrove, en tant que citoyens, habitants de l’île, autant dépendants que garants de cet écosystème, permet à la fois de redorer l’image de cet écosystème et de contribuer à sa conservation à long terme.
Une histoire à suivre
Si comme nous, vous avez hâte de suivre le développement de la pépinière de mangrove et les différentes actions de Roots of the Sea, vous pouvez les suivre dès maintenant sur Instagram & Facebook. Vous pouvez également soutenir cette belle association grâce à un don.
Encore un immense merci à Olivia, Laure-Anne et Jean-Yves* ainsi que tous les autres membres et bénévoles que nous avons eu la chance de rencontrer pour leur temps accordé, leurs explications passionnantes et leur invitation à nous faire découvrir la mangrove de la Martinique.
*Regardez l’interview de Olivia, Laure-Anne et Jean-Yves et baladez-vous en kayak avec nous dans la mangrove en regardant l’épisode 2 de notre web-série « Des arbres dans du sel ».

Références
1Polidoro, B. A. et al. (2010) ‘The loss of species: Mangrove extinction risk and geographic areas of global concern’, PLoS ONE, 5(4). doi: 10.1371/journal.pone.001009.
2Alongi, D. M. (2014) ‘Carbon cycling and storage in mangrove forests’, Annual Review of Marine Science, 6, pp. 195–219. doi: 10.1146/annurev-marine-010213-135020.