Après quatre mois et demi de navigation sur Phœnix, nous avons enfin atteint notre dernière étape : San Diego en Californie. Pourtant, c’était loin d’être la fin de l’expédition.
Depuis notre départ de France en février, nous avons rencontré plusieurs projets de restauration d’écosystèmes marins sur notre chemin. Nous avons rencontré et documenté des femmes et des hommes qui restaurent des récifs d’huîtres, des forêts de mangroves, des récifs coralliens et des forêts de kelp. Mais il nous manquait un écosystème côtier crucial sans lequel nous ne pouvions pas vraiment conclure l’expédition : les herbiers marins.
Heureusement, nous avons trouvé un incroyable projet de restauration d’herbiers en Californie. Quelques jours après notre arrivée à San Diego, nous avons rencontré Claire de l’organisation Orange County Coastkeeper, dans la baie de Newport, près de Los Angeles. Et quel projet ! Après quelques années d’efforts de restauration dans la baie, les herbiers ont prospéré et se sont développés d’eux-mêmes, ce qui signifie que plus aucune action de restauration n’était nécessaire.
Lisez notre article complet pour en apprendre davantage sur les prairies sous-marines, leur importance pour la biodiversité, la protection des littoraux et l’atténuation du changement climatique, les menaces auxquelles elles sont confrontées et ce qui peut être fait efficacement pour les restaurer.
Comme pour tous les projets que nous avons rencontrés tout au long de l’expédition, vous pouvez regarder l’épisode complet de notre web-série présentant le projet de restauration des herbiers marins d’Orange County Coastkeeper et plonger dans ces prairies sous-marines.
Bien qu’inspiré par notre rencontre et notre discussion avec Claire de Orange County Coastkeeper, cet article est la seule responsabilité de Phœnix Expedition.

Des prairies sous-marines indispensables
Les herbiers marins sont répartis dans le monde entier, sur tous les continents à l’exception de l’Antarctique. Ce sont les seuls angiospermes (plantes à fleurs) qui vivent dans l’océan. Comme toutes les autres plantes, elles effectuent la photosynthèse, ce qui signifie qu’elles ont besoin de vivre dans des eaux peu profondes (~10m) pour avoir assez de lumière pour se reproduire et se développer, soit sexuellement par les graines, soit de manière asexuée par clonage.
Il existe environ 60 espèces d’herbiers marins dans le monde, mais les plus courantes en Californie sont le Phyllospadix (Phyllospadix) et la zostère (Zostera marina). La zostère est celle qui domine la plupart des bassins et des estuaires de Californie.

La biomasse formée par les herbiers crée des prairies sous-marines, qui constituent un écosystème unique, vital pour le milieu marin et dont nous, les humains, dépendons aussi fortement.
Tout d’abord, les herbiers sont essentiels à la biodiversité marine.
Leur dense canopée augmente la structure du milieu, ce qui offre des microhabitats à de nombreuses espèces. Les prairies sous-marines sont donc une source importante de nourriture, un lieu d’abri et une zone de reproduction pour de nombreuses espèces : poissons, invertébrés, mammifères, reptiles, etc. Nombre d’entre elles ne peuvent se reproduire, pondre leurs œufs ou donner naissance à leurs petits que dans les prairies marines. Même certaines espèces terrestres, comme les oiseaux, dépendent des herbiers pour trouver la nourriture dont ils ont besoin pour survivre. Les herbiers jouent un rôle clé dans le réseau alimentaire marin et soutiennent de nombreuses espèces de différents niveaux trophiques, ce dont nous bénéficions grandement pour nos pêcheries, qu’elles soient récréatives ou commerciales.


D’un point de vue anthropique, les prairies sous-marines sont cruciales pour nos littoraux et nos eaux côtières. La biomasse dense des herbiers marins ralentit le flux de l’eau et l’énergie des vagues, ce qui permet aux sédiments de se déposer. Les prairies sous-marines agissent alors comme un tampon naturel, protégeant la côte des tempêtes et de l’érosion.
Elles améliorent également la qualité de l’eau par la photosynthèse en filtrant l’eau, en fournissant de l’oxygène à l’eau environnante et en absorbant le dioxyde de carbone de l’eau de mer.
La captation du dioxyde de carbone dans la colonne d’eau augmente le pH global de l’eau, la rendant moins acide, ce qui permet de lutter contre l’acidification de l’océan qui se produit à l’échelle mondiale en raison du changement climatique.

Les herbiers marins peuvent également atténuer les effets du changement climatique en stockant du carbone. En effet, les prairies sous-marines sont considérées comme l‘un des plus importants puits de carbone de notre planète. Cela est dû à la grande quantité de matière organique (matière carbonée) qui s’accumule et se conserve dans les sédiments sous-jacents. Le sol est peu concentré en oxygène, ce qui ralentit la dégradation de la matière organique et la fixe pendant de longues périodes.
Pour toutes les raisons mentionnées ci-dessus, les prairies sous-marines sont considérées comme l’un des écosystèmes les plus importants de notre planète, d’un point de vue humain mais aussi du point de vue de toutes les formes de vie présentes dans l’océan qui dépendent de cet écosystème pour prospérer.
Prairies en danger
Cependant, les herbiers marins font également partis des écosystèmes les plus menacés de la planète. Ils sont soumis à une forte pression au niveau mondial et connaissent un déclin rapide depuis plusieurs années.
La plupart des menaces qui pèsent sur les herbiers marins sont liées aux activités humaines. Les impacts physiques directs tels que le dragage ou le mouillage à l’ancre arrachent les plantes ou les enterrent de manière à empêcher la photosynthèse – leur mécanisme de vie – de se produire. D’autres impacts indirects, tels que l’eutrophisation, la pollution, le développement côtier et les espèces invasives, affectent également les herbiers en aggravant les conditions environnementales dans lesquelles ils vivent.
Le changement climatique affecte également les prairies sous-marines. L’élévation du niveau de la mer, l’augmentation de la température de l’eau, les modifications du régime des précipitations et la fréquence accrue des tempêtes exercent un stress croissant sur les herbiers : diminution de la quantité de lumière disponible, modification des taux de salinité, augmentation des risques de délogement, etc.

Bien que les espèces d’herbiers soient résilientes et puissent tolérer un certain niveau de stress, la conjonction de plusieurs de ces menaces conduit souvent à un déclin à long terme des herbiers, avec une faible récupération.
En Californie, une politique a été mise en place pour garantir que les herbiers puissent résister à tous ces impacts humains. Il s’agit du CEMP (California Eelgrass Mitigation Plan). Selon ce plan, pour chaque zone de zostère détruite, il faut la remplacer par deux, c’est-à-dire que pour un hectare de zostère détruit, il faut restaurer deux hectares de zostère.
En considérant cela… comment restaurer les zostères ?
Plongeons plus profondément dans les efforts de restauration des zostères de Orange County Coastkeeper pour découvrir comment y parvenir.
Jardiner les prairies
Dans la baie de Newport, en Californie, où nous avons rencontré Orange County Coastkeeper, les zostères se situent dans un estuaire relativement salé qui est fortement développé. Tout le long de l’estuaire se trouvent des maisons luxueuses, des yachts, des marinas, des bateaux… L’estuaire est dragué pour permettre aux bateaux d’entrer et de sortir de la baie. Par conséquent, les zostères ne peuvent plus réaliser la photosynthèse ou sont tout simplement arrachées. Au cours des 50 dernières années, la quantité de zostères dans la partie supérieure (Upper) Newport Bay a fortement diminué.
Orange County Coastkeeper a alors décidé de créer un projet appelé Living Shorelines qui vise à restaurer les zostères et les récifs d’huîtres comme solution naturelle pour protéger le littoral de l‘élévation du niveau de la mer et de l’érosion. Dans le cadre de cet article, nous nous concentrerons uniquement sur la partie de leur projet concernant la restauration des zostères.
En 2017, ils ont commencé à collecter des individus de zostère dans la partie inférieure de la baie de Newport. L’idée était de collecter des individus qui pourraient se développer dans la même zone, la partie inférieure et supérieure de la baie de Newport ayant à peu près les mêmes conditions environnementales (lumière, température, salinité, substrat, etc.). Une équipe de plongeurs a prélevé quelques individus dans des herbiers sains et les ont ramenés à terre.

Une fois à terre, une équipe de centaines de bénévoles a commencé le processus de mise en botte. Deux ou trois morceaux de zostère, ainsi que leur système racinaire, ont été attachés avec une ficelle à un petit morceau de bois, prêts à être transplantés. Une fois toutes les bottes rassemblées, elles ont été ramenées sur le bateau et amenées sur les sites de restauration, quatre au total, où les bâtons de bois ont été plantés dans le fond marin par des plongeurs.

Environ 1 335 m2 ont été replantés sur les différents sites de restauration de la partie supérieure de la baie de Newport. Deux ans plus tard, les efforts de restauration ont cessé. Les zostères ont prospéré et se sont tellement développées qu’aucune autre intervention humaine n’est nécessaire. Aujourd’hui, les parcelles de zostère restaurées couvrent plus de 1,2 hectare, ce qui représente une croissance multipliée par dix depuis le début de la restauration.

Le fait de devoir arrêter les efforts de restauration est formidable, et est même considéré comme l’un des buts ultimes de la restauration. Pour rappel, la restauration écologique est un processus qui permet d’assister au rétablissement d’un écosystème qui a été dégradé ou détruit. Ainsi, lorsque l’écosystème retrouve sa résilience et est capable de croître et de se développer par lui-même, sans l’aide de l’homme, cela signifie que la restauration est réussie et que nous pouvons être fiers de nous retirer du processus.

Garder un œil sur les herbiers
Toutefois, ce n’est pas parce que la restauration est réussie que le travail est terminé, loin de là. Le succès d’aujourd’hui ne garantit pas nécessairement celui de demain. C’est pourquoi il est crucial de surveiller sur le long terme les écosystèmes restaurés afin de mieux suivre l’évolution et la stabilité des habitats nouvellement rétablis.
Dans le cas du projet de zostères, Orange County Coastkeeper effectue un suivi depuis 2017 et espère continuer à le faire dans les années à venir pour s’assurer que les zostères transplantées continuent d’être saines, productives et résilientes.
Différents aspects sont contrôlés.
Tout d’abord, les zostères en tant que telles font l’objet d’un suivi dans le temps pour mesurer leur expansion spatiale, leur densité, leur forme et leur dispersion afin de déterminer leur croissance.
D’autres paramètres indirectement liés aux zostères sont suivis afin d’évaluer les services écosystémiques fournis par les zones restaurées.
La biodiversité au sein des herbiers est mesurée : différentes espèces de poissons et d‘invertébrés sont recensées. Par exemple, la pieuvre à deux points et l’hippocampe géant sont revenus et ont augmenté en nombre depuis la restauration des zostères.
Le pH de l’eau a également été mesuré et il s’est avéré qu’il augmentait dans les zones restaurées, car les zostères utilisent le carbone de l’eau par le biais de la photosynthèse.

Toutes ces différentes composantes sont très importantes pour mieux comprendre et mesurer la valeur holistique de la restauration des prairies de zostères. De nombreux étudiants contribuent à ce suivi à long terme en se concentrant sur plusieurs de ces aspects de la restauration pour leur thèse de master.
Ce suivi essentiel est également permis par la grande variété de partenaires qui contribuent à ce projet, tels que la California State University Fullerton et Long Beach, la San Diego State University, la California Coastal Commission, la California State Coastal Conservancy, le California Department of Fish and Wildlife et Orange County Parks.
Cette collaboration massive entre les organisations locales, régionales et fédérales montre à quel point il est important de travailler ensemble pour amplifier les efforts de restauration.

L'avenir des herbiers marins pour les générations futures
Il est crucial de se rappeler que lorsque la restauration a eu lieu et a été réussie, nous devons encore nous assurer qu’elle restera ainsi à l’avenir et pour les générations futures, et cela ne peut se faire que par un suivi et l’éducation.
Au sein d’Orange County Coastkeeper existe tout un département éducatif qui vise à sensibiliser la communauté locale d’Orange County à l’océan et à l’environnement côtier.
Des élèves ont la possibilité de visiter les sites et les installations pour discuter avec l’équipe d’OCC de la qualité de l’eau, du processus de restauration et des raisons pour lesquelles les zostères sont un élément important de l’écosystème côtier. Certains de ces élèves n’ont jamais vu l’océan auparavant, et encore moins entendu parler des zostères.
Permettre à des personnes de tous âges de découvrir la côte et la vie qui s’y trouve est une expérience qui ouvre les yeux et constitue un premier pas essentiel vers une meilleure protection et conservation de l’océan.
Nous remercions vivement Claire de nous avoir accueillis sur place pour nous présenter l’incroyable travail d’Orange County Coastkeeper. Nous sommes ravis de partager leur projet comme le dernier projet de Phœnix Expedition. Quel plaisir de conclure l’expédition avec un projet aussi réussi et inspirant ! Nous leur souhaitons le meilleur pour l’avenir, en espérant que leurs efforts de surveillance se poursuivront et inspireront d’autres personnes à faire revivre ces prairies sous-marines.
Si vous voulez explorer ces prairies salées et en savoir plus sur le travail de Claire, regardez le dernier épisode de notre série documentaire ! Vous pouvez également suivre leur travail et soutenir leurs actions en cliquant ici.
