Alors que nous poursuivons notre périple vers San Diego, nous continuons notre mission qui consiste à rencontrer, documenter et aider celles et ceux qui restaurent les écosystèmes côtiers. Nous sommes maintenant sur la côte Pacifique de l‘Amérique centrale et nous remontons le long de la côte du Panama à celle de la Californie. Nous nous sommes d’abord arrêtés au Costa Rica pour rencontrer María, qui travaille sur un projet très réussi de restauration d’une mangrove.
Ce projet, basé à Cuajiniquil – une petite ville de pêcheurs au nord du Costa Rica – est l’illustration parfaite de la manière dont on peut réussir un projet de régénération : en intégrant à la fois la communauté locale et des experts afin de répondre aux besoins socio-économiques et écologiques en même temps.
Comme pour tous les autres projets de restauration d’écosystèmes marins que nous rencontrons et documentons tout au long de notre expédition, vous pouvez regarder l’épisode de notre web-série consacré à celui-ci. Lisez l’article suivant pour plonger plus profondément dans le projet et en savoir plus sur les méthodes utilisées, l’engagement de la communauté et les résultats obtenus.
Cet article, bien qu’inspiré par notre visite et nos discussions avec María, n’engage que les membres de Phœnix Expedition.
Remonter le temps
Cette histoire se déroule à Cuajiniquil, à l’extrême nord du Costa Rica, dans la région de Guanacaste. Là-bas, l’environnement côtier est dominé par les forêts de mangroves, comme dans de nombreuses régions tropicales et subtropicales.
À la frontière entre l’océan et la terre, différentes espèces de palétuviers se partagent l’espace disponible, chacune d’entre elles étant adaptée à différentes conditions environnementales telles que les importantes variations de salinité et de dessiccation créée par le mouvement continu des marées.
On y trouve de multiples espèces d’arbres comme le palétuvier rouge (Rhizophora mangle), un autre de la même famille (Rhizophora racemosa), le palétuvier noir (Avicennia germinans) et le palétuvier blanc (Laguncularia racemosa).
(Nous avons d’ailleurs rencontré et documenté un projet de restauration de la mangrove en Martinique, axé sur le palétuvier rouge (Rhizophora mangle), dont vous pouvez lire l’article ou regarder l’épisode de notre série web consacrés à ce projet).

Il y a environ 80 ans, sept hectares de la mangrove de Cuajiniquil ont été retirés afin de créer des marais salants.
Le processus de création des marais salants est assez simple :
1- les arbres de la mangrove sont retirés, ce qui crée une surface vide. (Dans le cas de ce projet, la zone enlevée correspondait à la surface de deux ou trois terrains de football) ;
2- l’eau de la marée y pénètre ;
3- l’eau reste dans la zone nue en étant empêchée de retourner à l’océan par des barrières artificielles ;
4- par le processus naturel d’évaporation, l’eau disparaît et une énorme quantité de sel reste sur le sol ;
5- le sel est alors disponible pour être récolté.
Cependant, l’activité s’est arrêtée il y a 40 ans et par manque d’intérêt, les marais salants ont été abandonnés. Bien que la mangrove soit un écosystème plutôt résilient et capable d’une régénération naturelle rapide, dans ce cas, la mangrove ne s’est pas rétablie. Alors que María et son équipe traversaient la zone au fil des ans, attendant et espérant que la vie revienne d’elle-même, ils ont rapidement réalisé que s’ils ne faisaient rien, cette zone détruite le resterait pendant des siècles.
C’est pourquoi, avec l’ambition d’aider la mangrove à se rétablir, ils ont décidé de lancer un projet de restauration de la mangrove.

L'importance holistique de la régénération des mangroves
Avant de plonger dans le processus de gestion et de déroulement du projet, comprenons pourquoi la restauration de la mangrove est importante, tant des points de vue biologique et écologique que des points de vue social et économique.
La mangrove est un écosystème fournissant de nombreux ‘ services ‘, également appelés ‘ services écosystémiques ‘.
‘ Services écosystémiques ‘ est un terme utilisé pour mentionner les différents avantages que nous – les humains – tirons du monde vivant. Il nous aide à nous identifier davantage à un écosystème naturel en appréciant pleinement les différents niveaux auxquels nous en bénéficions et à mieux envisager la nécessité et l’urgence de le protéger et de le restaurer.
Il est important de noter que même si nous dépendons de la mangrove (et d’autres écosystèmes marins et terrestres), il ne devrait pas toujours être nécessaire de prouver que les humains en ont besoin comme unique raison de la protéger et de la restaurer. Le fait que nous partagions l’espace de cette planète unique avec d’autres espèces (animaux, plantes et champignons, entre autres) qui sont là depuis plus longtemps que nous devrait être une raison suffisante pour les protéger et les restaurer lorsque nous les avons envahis. Cependant, parler du concept de services écosystémiques est un « langage » utile, compris par tous et qui peut aider à la prise de décision.


La mangrove est un habitat merveilleux pour de nombreuses espèces terrestres et marines, et notamment une incroyable nurserie pour de nombreuses espèces marines : poissons, coquillages, escargots, crevettes… En venant dans les eaux peu profondes de la mangrove, les espèces marines peuvent grandir et se développer, à l’abri des grands prédateurs de l’océan plus profond vers lequel elles retourneront plus tard dans leur vie. En survivant aux premiers et fragiles stades de leur vie, elles contribuent à des populations plus importantes une fois de retour en pleine mer, ce qui permet de subvenir aux besoins des récoltes et des pêcheries locales (si cela est fait à un rythme durable et avec des méthodes non destructrices, bien sûr).
La mangrove est essentielle au maintien de l’habitabilité de la Terre et à l’atténuation de la crise climatique actuelle, causée par une quantité excessive de carbone dans l’atmosphère. En plus de capturer de grandes quantités de carbone par le biais de la photosynthèse dans leur biomasse (troncs, branches, racines), les palétuviers stockent encore plus de carbone sous terre, ce qui en fait l’un des écosystèmes les plus riches en carbone sur Terre. Le sol dans lequel ils se trouvent est rempli de matières organiques telles que des feuilles et des branches accumulées au fil du temps. Il est également très pauvre en oxygène, ce qui ralentit le processus de dégradation du carbone, le fixant pour une très longue période.
A la frontière entre l’océan et la terre, la mangrove est confrontée aux forces venant de l’océan. En absorbant l’action des vagues, la mangrove protège les communautés côtières contre l’érosion, les inondations et les tempêtes. Les palétuviers filtrent également l’eau qui entre et sort de la forêt, contribuant ainsi à une eau plus propre retournant à l’océan.
Au Costa Rica, le tourisme est l’une des principales sources de revenus. Des personnes du monde entier sont attirées par la riche biodiversité et la préservation des écosystèmes naturels que l’on trouve dans ce pays comme nulle part ailleurs. Tout comme se promener dans la forêt tropicale pour observer les oiseaux et la végétation dense, se promener dans la mangrove pourrait être une activité guidée proposée par les communautés locales qui peuvent faire découvrir et éduquer sur ce magnifique écosystème tout en gagnant leur vie.

Régénérer la mangrove avec la communauté locale
Maintenant que nous comprenons mieux pourquoi il est crucial de restaurer la mangrove qui a été dégradée, voyons comment nous pouvons le faire – ou comment María et d’autres le font depuis quelques années.
Rassembler les bonnes personnes et assez d'argent
Avant de mettre la main à la pâte et de commencer le travail sur le terrain, il faut réunir trois éléments importants :
1- Des experts qui savent exactement ce qui doit être fait et comment ;
2- Des personnes qui peuvent aider au travail de terrain ;
3- Des moyens financiers pour mener à bien le projet sur le long terme.
Des experts sur la restauration de mangrove
María Marta Chavarría Diaz travaille dans la zone de conservation de Guanacaste en tant que chercheuse et agent du gouvernement. Ses titres professionnels mis à part, María est probablement l’une des personnes les plus passionnées et enthousiastes que nous ayons rencontrées au cours de cette expédition. Son attitude pétillante est contagieuse et il n’y a aucun doute sur la façon dont elle a réussi à rassembler les bonnes personnes et les fonds nécessaires pour réaliser ce projet.
María a travaillé avec la Dr Claudia Maricusa Agraz Hernández de l’Université de Campeche (Mexique), experte en restauration de mangroves. Elle travaille depuis des années dans ce domaine et a restauré plus de 7 000 hectares de mangroves au Mexique. Accompagnée d’une équipe de personnes de son groupe de recherche, elle est venue effectuer des mesures et une exploration du marais salant afin d’élaborer un plan de restauration de la mangrove, qui a servi de point de départ au projet.

Le pouvoir des femmes et l'engagement communautaire
Une fois le design crée et le processus de restauration de la mangrove bien défini, le projet avait besoin de bras : des bras pour aider au travail sur le terrain – creuser des canaux, planter des palétuviers – et pour aider au suivi du projet. Qui pourrait être mieux placé pour aider à restaurer une mangrove que la communauté locale qui vit à côté et qui en dépend en premier lieu ? María et ses collègues du parc national ont noué une très bonne relation avec la population locale de Cuajiniquil, en particulier avec un groupe de femmes qui participent au projet depuis le début.
L’adhésion des femmes locales était une étape nécessaire pour gagner la confiance et l’engagement du reste de la communauté. Les femmes sont considérées comme des personnes très importantes au sein des familles et de la communauté. Si les femmes faisaient confiance à María et à ses collègues et étaient prêtes à contribuer au projet, il était plus probable que les maris, les fils et d’autres personnes de la ville rejoignent le projet. En outre, les personnes invitées à venir aider ont été sensibilisées à l’importance de la mangrove et à ses avantages pour leur village côtier, tout en étant rémunérées pour leur travail et leurs efforts. Pour toutes ces raisons, l’engagement de la communauté a été un grand succès et plus de 90 personnes ont rejoint le projet.

Financer le projet
Pour gérer le projet à long terme, en tenant compte des coûts humains et non humains, le financement est essentiel. Ce projet a été entièrement financé par le gouvernement français (Fonds Français pour l’Environnement Mondial), avec l’appui administratif de la Fundación Corcovado. Nous – un équipage entièrement français – avons été heureusement surpris de découvrir qu’une partie de nos impôts sert à financer ce genre de projet (et nous espérons que si vous êtes français, vous serez aussi heureusement surpris !)
Le processus de restauration de la mangrove
Une fois que les experts, les personnes susceptibles d’apporter leur aide et l’argent sont réunis, que se passe-t-il ?
Comment faire revivre sept hectares de mangroves, d’une zone stérile saturée de sel à une forêt saine et productive ?
Il y a deux façons de restaurer des forêts de mangroves, une active et une passive, que nous avons toutes deux décrites dans notre précédent article sur la restauration des mangroves.
Dans le cas de la mangrove de Cuajiniquil, c’est la méthode passive qui a été choisie. Pour restaurer cette mangrove, il fallait d’abord rétablir l’hydrologie de la zone (la façon dont l’eau circule). C’est exactement ce que Claudia a proposé : une conception visant à améliorer le mouvement de l’eau. En creusant des canaux, l’eau de l’océan pouvait entrer et sortir à nouveau avec la marée.



Le principe est le suivant : si l’eau revient et inonde la zone précédemment asséchée, le sel peut se diluer à nouveau, de nouveaux arbres peuvent coloniser, les poissons peuvent revenir et toute la forêt de palétuviers peut commencer à repousser.
Pendant quatre mois, la population locale, les experts en restauration et les chercheurs ont creusé des canaux, en commençant tôt le matin (vers 5 heures) jusqu’à midi (ou jusqu’à ce que le soleil soit insupportable). Des petits plants de palétuviers ont également été plantés en bordure des canaux afin de soutenir les parois et d’empêcher l’effondrement des canaux.
Avec tout le monde travaillant par sections, petit à petit, toute la zone a été transformée et reconnectée à l’océan, donnant une nouvelle opportunité à la mangrove de se régénérer.


Un avenir prometteur
Des résultats fructueux pour la mangrove
Après tout ce travail, la magie (aussi appelée » la vie « ) a opéré : l’eau a commencé à envahir les canaux et à déborder sur la zone sèche, diluant le sel, permettant aux espèces de poissons de venir se développer dans les eaux peu profondes des canaux, transportant naturellement les propagules de palétuviers et augmentant finalement le recrutement naturel de palétuviers dans toute la zone.
Depuis lors, Maria et son assistante en biosurveillance, Ivannia Hernadez Chaves – et également aidées par Claudia qui vient du Mexique – surveillent le succès du projet : elles mesurent le nombre de recrues pour les différentes espèces de palétuviers, les grottes à crabes (montrant le retour des crabes qui étaient auparavant absents), le pH, la salinité, l’oxygène, la température de l’eau, la capture et le stockage du carbone…
Par exemple, elles ont suivis plus de 3 000 plants de palétuviers noirs (Avicennia germinans) et 300 plants de palétuviers blancs (Langucularia racemes) qui sont tous arrivés naturellement, se sont établis d’eux-mêmes et poussent de manière saine depuis que l’hydrologie a été restaurée.
Même s’il est presque impossible de dire avec certitude quand la mangrove retrouvera un état sain, productif et résilient, María espère que dans 15 ans, leurs efforts seront récompensés et que la mangrove sera presque entièrement régénérée.

Bénéfices pour la communauté
Cuajiniquil est un petit village de pêcheurs relativement pauvre. S’engager avec la communauté locale et l’intégrer dans le processus était le meilleur moyen de l’aider à devenir un véritable gardien de son environnement local ( à savoir la mangrove) tout en lui donnant une source de revenus.
Le groupe local de femmes continue à se rendre chaque semaine dans la mangrove pour participer à certaines activités de suivi et prévoit de créer un parcours dans la mangrove afin de montrer et d’enseigner aux touristes cet écosystème et la manière dont il est restauré.
Après deux ans de pandémie, María va reprendre son travail avec les enfants de Cuajiniquil. Elle prévoit des ateliers et des activités de suivi participatif (hauteur des arbres, répartition des différentes espèces, etc.) afin de leur faire prendre conscience de l’importance de leur environnement local.
Un peu d'espoir en période d'urgence globale
Face à l’état de la planète aujourd’hui, en considérant à la fois la crise climatique et celle de la biodiversité, ainsi que l’injustice sociale qui leur est liée, il est difficile de rester optimiste ou de savoir quoi faire. Mais plus nous rencontrons de projets de ce type tout au long de l’expédition, plus nous nous rendons compte que l’action – l’action concrète sur le terrain qui tient compte à la fois des êtres humains et du reste du monde vivant – est ce que nous pouvons faire de mieux.
Même si les mots ne reflètent pas toujours les sentiments et les émotions qui nous habitent face à une telle situation, ceux que María a utilisés nous donnent un véritable exemple de la façon dont la restauration des écosystèmes est l’une des choses les plus utiles et les plus porteuses d’espoir que l’on puisse faire :

La rencontre avec María, Ivannia et certaines des femmes locales a été une expérience merveilleuse. Nous avons quitté le Costa Rica impressionnés, touchés et remplis de connaissances et de perspectives sur la restauration de la mangrove. Nous ne pouvons que souhaiter le meilleur à ce projet et à la communauté locale de Cuajiniquil pour l’avenir, en espérant que leurs efforts seront récompensés. Nous sommes impatients de voir cette mangrove dans quelques années, qui sera certainement encore plus dense, plus saine et plus productive qu’aujourd’hui.
Regardez l’épisode 5 de notre web-série pour découvrir la mangrove de Cuajiniquil, voir les canaux qui ont été creusés et les nouveaux arbres qui sont apparus, et écouter María parler de son travail.