Février 2022, le départ de Phœnix Expédition approche. Nous allons partir de Bretagne pour rejoindre la Californie à la voile afin de rencontrer et documenter celles et ceux qui contribuent activement à la régénération des écosystèmes marins. Mais nous ne pouvons partir sans rencontrer de projets réalisés sur les côtes françaises.
Alors quoi de mieux, la veille du départ, que d’aller en Bretagne découvrir un projet scientifique qui vise régénérer des récifs d’huîtres plates ?
Dans le rush des préparatifs du départ, les au revoir et les derniers achats, nous avons eu la chance de rencontrer Stéphane Pouvreau le temps d’une après-midi pour découvrir ses travaux. Stéphane, chercheur en biologie marine à l’Ifremer, est spécialisé dans la restauration écologique de l’huître plate. En l’espace de quelques heures, il nous a fait découvrir un univers méconnu du plus grand nombre d’entre nous : celui des récifs d’huîtres plates.
Dans cet article, vous découvrirez cet écosystème si intriguant et comprendrez comment agir pour sa régénération. Retrouvez l’interview de Stéphane et ses travaux en images dans l’épisode 1 de notre web-série.
Les propos de cet article n’engagent que Phœnix Expédition.
L'huître plate, l'oubliée d'Europe
Vous connaissez déjà certainement l’huître creuse (Crassostrea gigas). Cette espèce d’huître élevée en France se retrouve sur nombre de nos tables. Mais l’huître creuse n’est pas une espèce native en France : elle fut introduite il y a 50 ans pour l’industrie de l’ostréiculture.
L’huître plate (Ostrea edulis) quant à elle est la seule espèce native des côtes européennes. Ces deux espèces cohabitent tout de même dans le milieu marin. L’huître plate se trouve à des profondeurs plus importantes et est constamment immergée, tandis que l’huître creuse se trouve plus haut sur l’estran et peut vivre émergée lors de la marée basse.
Bien que moins connue, l’huître plate reste une espèce essentielle au monde sous-marin en Europe.
Découvrez pourquoi.

Les récifs d'huîtres, garants d'un milieu marin sain, riche et résilient
Les récifs d’huitres plates jouent un rôle indispensable pour toute la biodiversité marine environnante.
Pour commencer, une huître ne vit jamais seule. Les larves d’huîtres préfèrent se fixer là où des adultes se trouvent déjà. Ainsi, les huîtres se regroupent lors de leur développement et au fur et à mesure de leur agrégation forment des récifs, appelés huîtrières.
En étant à plusieurs, les huîtres forment des structures plus solides et plus résistantes que si elles étaient solitaires. Ainsi, elles survivent mieux face aux pressions ambiantes, comme celles des prédateurs.


Grâce à leur structure tridimensionnelle, les huîtrières forment alors un environnement plus complexe que celui d’un fond marin simple.
Les failles et crevasses naturelles résultant de l’agencement des huîtres offrent des caches, niches et points de fixation pour d’autres espèces : bigorneaux, algues, bivalves, crustacés, etc. De plus grosses espèces marines plus mobiles, comme les poissons ou les céphalopodes (poulpe, seiche etc.) viennent s’y reproduire (en déposant leurs œufs), ou se nourrir des plus petites espèces qui y élisent domicile.
Ainsi, le récif d’huître plate est une véritable oasis de biodiversité marine, où chaque espèce y trouve son compte.

Les huîtres agissent comme filtres naturels épurant l’eau lorsqu’elles se nourrissent. Leurs structures cohésives stabilisent les sédiments, réduisent la force des vagues et les courants de fond permettant à d’autres espèces plus fragiles de s’installer aux alentours.
Ainsi, les prairies d’herbiers marins et les récifs de maerl trouvent des conditions favorables à leur développement près des récifs d’huîtres plates.

Un écosystème précieux en danger critique d'extinction
Malheureusement, les récifs d’huître plates sont en danger critique d’extinction sur toutes les côtes européennes.
A l’origine, les récifs d’huître plate étaient présents de manière extensive dans toutes les mers d’Europe. Mais étant très prisée à la Cour du roi et dans la gastronomie, l’huître plate a été surexploitée par l’Homme (un schéma plutôt classique dans l’histoire de nos sociétés).
La pêche sur les bancs sauvages d’huître plate, notamment à la drague, pendant plusieurs siècle (18ème et 19ème) a fait disparaître progressivement les récifs naturels présents dans la région. Ajouté à cette exploitation passée, l’industrialisation, mais aussi la pollution depuis les bassins versants et la survenue de maladies ont entrainé le déclin total de l’espèce.
Heureusement, depuis quelques années, certaines personnes travaillent quotidiennement pour régénérer les récifs d’huîtres plates et recréer un monde marin plus riche et résilient.
La régénération des récifs d'huîtres plates
Avant tout effort de restauration d’écosystème, il est nécessaire de limiter les pressions principales responsables de la disparition de l’écosystème en question. Pour pouvoir régénérer des huîtrières, il convient d’identifier des zones de restauration sur lesquelles ces pressions sont minimales ou maîtrisables.
Mais les huîtres plates ne peuvent pas se développer sans support au fond de l’eau. Une fois la pression sur le système levée, la première étape pour activer la restauration d’un récif est donc de fournir un nouveau support spécialement conçu pour les larves afin qu’elles puissent venir s’y fixer et grandir.
En rade de Brest les scientifiques de l’Ifremer, en coopération avec les pêcheurs de la zone, ont pu installer depuis les 4 à 5 dernières années des supports à moins de 10 mètres de profondeur. En trouvant un lieu où se fixer, les larves ont pu s’y développer, grandir et devenir des huîtres adultes qui se reproduisent à leur tour. Ainsi, tout le cycle de vie de l’huître a pu être réenclenché naturellement et le développement des récifs réamorcé.






C’est bien de cela qu’il s’agit : d’une amorce.
Les actions de restauration permettent d’entamer un processus, afin de rentrer dans un cercle vertueux de restauration naturelle qui permet à l’espèce de devenir autonome et donc de ne plus dépendre de l’action de l’Homme.
Ainsi, en fournissant de nouveau un support fondateur à l’espèce, et en endiguant les pressions principales sur l’espèce, les récifs d’huîtres plates peuvent se régénérer.
Un effort mondial
Les travaux et efforts de restauration de récifs par les scientifiques français ne s’arrête pas en Bretagne ; ils s’inscrivent dans une démarche mondiale.
A l’échelle européenne, l’Alliance Européenne Huitre Plate (NORA) s’est développée, permettant à des travaux similaires de voir le jour au Danemark, en Allemagne, en Espagne et en Angleterre entre autres.
Dans d’autres régions du monde comme aux États-Unis et en Australie ce sont d’autres espèces d’huîtres dont les récifs font l’objet de travaux de restauration.
Le rôle de chacun
Contribuer à la restauration des écosystèmes marins est nécessaire à tous les niveaux : individuels, politiques, institutionnels, scientifiques, industriels, etc. Chaque acteur de la société a son rôle à jouer.
Dans le cadre des récifs d’huîtres plates, la majorité des pêcheurs, des exploitations et des gestionnaires sont conscients des enjeux liés au milieu marin, et coopèrent de plus en plus pour régénérer les écosystèmes dont ils dépendent pour leurs activités.
En tant que consommateur, nous pouvons aussi privilégier des produits issues de méthodes de pêche sélectives à faible impact sur les fonds marins et d’exploitation durable. L’huître plate est encore produite en élevage par une petite poignée d’ostréiculteurs en Bretagne selon des méthodes traditionnelles, respectueuses de l’espèce et du milieu. La méthode de pêche et d’exploitation est toujours indiquée sur le produit à la vente. Choisissez bien et régalez vous !

L'espoir d'un avenir pour l'huître plate
Les travaux de Stéphane et de ses collègues sont porteurs d’espoir.
Le développement de nouveaux récifs d’huitres plates laissent penser à un avenir prometteur pour cette espèce. Bien que leurs travaux ne soient réalisés qu’à petite échelle pour l’instant, nous leur souhaitons de trouver les capacités humaines, financières et surtout administratives afin de déployer leurs efforts et travaux à plus grande échelle.
Un énorme merci à Stéphane d’avoir pris le temps de nous rencontrer, d’échanger avec nous et de nous expliquer de manière si passionnée et informative ses travaux.
Retrouvez en image l’interview de Stéphane et ses travaux dans l’épisode 1 de notre web-série !